"Et la Cour des comptes ou les commissions diagnostiquaient, diagnostiquaient… sans que rien ne change jamais : qui sont les responsables de la paralysie française ? Dans son rapport annuel publié mardi, la Cour des comptes estime trop optimistes les hypothèses du gouvernement qui espère ramener le déficit public à 3 % du PIB en fin d'année."
Entretien avec Atlantico.fr
Question : Rapport de la cour des comptes, rapport « Gallois », commission des finances, etc : les rapports sur les gaspillages, excès et dysfonctionnements publics se succèdent sans être jamais suivis de faits concrets. La France ne semble bonne qu’à poser des diagnostics alarmants et reste incapable de passer à l’acte. Politiques, hauts-fonctionnaires, syndicats, patrons, électeurs : qui est le plus responsable de la paralysie française ?
Réponse :
Vous auriez pu ajouter le rapport pour « la libération de la croissance française » rédigé par la commission présidée par Jacques Attali en 2008 avec lequel le « rapport Gallois » partage la plupart des préconisations.
Les dépenses publiques sont les plus élevées de tous les pays de l’OCDE, l’Etat intervient trop et mal, la rente est triomphante, il n’y a pas de flexibilité de l’emploi et le coût du travail est trop élevé, le dialogue social est quasi inexistant… Ces constats semblent tellement évidents. Ils sont tellement partagés et anciens qu’on a du mal à croire en effet que les réformes n’aient pas été engagées et pourtant on en est très loin…
La difficulté que nous avons a réformer la société française est extrême parce qu’elle est historique et donc culturelle avant d’être structurelle. On peut probablement remonter jusqu’à l’Empire Romain et à la construction de la chrétienté pour comprendre les rigidités de notre modèle pyramidal qui n’est ni favorable à l’innovation et ni au changement. Les Bourbons et leurs gouvernements successifs en changeant la structure de l’Etat ont créé une société de connivences et de clientèles. La monarchie traditionnelle et héréditaire a disparu emportée par les Lumières et finalement par la puissance d’une nouvelle forme d’Etat incarnée par de nouvelles castes de privilégiés. L’Etat omniprésent, omniscient favorisant le corporatisme, les monopoles, entravant la liberté d’entreprendre, la concurrence, donc l’innovation et favorisant in fine l’immobilisme lui a survécu.
Nous avons hérité de ce modèle.
Nos élites successives ont entretenu et renforcé un modèle interventionniste et clientéliste soit par idéologie soit, ce qui est plus grave, par intérêt. On ne touche pas aux « avantages acquis », on ne touche pas aux privilèges… Les « clients » du système ne voient pas l’intérêt de s’offrir individuellement en victimes sacrificielles sur l’autel du changement. La responsabilité de l’absence des réformes nécessaires de ce point de vue est donc très largement partagée.
Pointer tel ou tel corps social n’a à mon avis pas beaucoup de sens même si les élus sont certainement les plus coupables et particulièrement le premier d’entre eux : le Président de la République. La légitimité et la puissance que leur confère le suffrage universel permettent théoriquement de faire les réformes nécessaires. Ils sont d’autant plus coupables qu’ils les ont souvent promises pour se faire élire. L’amour du pouvoir et de ses attributs et la peur de le perdre qui’ l’accompagne poussent au clientélisme politique et ne favorise pas la réforme. Les Français se sentent d’ailleurs collectivement trompés par ces promesses à répétition. Les études récentes montrent que presque 60% d’entre eux ne font plus confiance aux élus. Cette perte de confiance diminue de fait l’autorité nécessaire pour faire des réformes…
On pourrait être tenté de conduire dans le box des accusés les syndicats. Ils sont aussi titulaires d’une forme de représentativité mais je considère que l’interventionnisme de l’Etat a toujours vidé le dialogue social de son contenu et infantilisé les représentants syndicaux.
Il serait aisé de blâmer la haute-fonction publique qui détient une grande partie des pouvoirs mais c’est en grande partie parce que les élus les leur ont abandonnés en chemin.
Il est donc urgent que les élus regagnent la confiance des Français et reprennent le pouvoir pour faire ces réformes et éviter le déclassement de chacun d’entre nous et le déclin de la société française.
Question :Une enquête d’Ipsos sur les « nouvelles fractures » de la société française, publiée dans le Monde du 25 janvier, indiquait que 87% des français répondent oui quand on leur demande si le pays « a besoin d’un vrai chef pour remettre de l’ordre ». A défaut de trouver à élire une personnalité à la Thatcher ou de Gaulle, la France est-elle foutue ?
C’est d’abord le système politique français et les institutions de la Vème république qui veulent que la France a besoin d’un « chef ». Tant de pouvoirs sont concentrés dans les mains du Président de la République, si il n’est pas à la hauteur des enjeux et des défis auxquels le pays doit faire face alors la France s’affaiblit.
Le Général de Gaulle était l’incarnation de la liberté, du courage et de l’intérêt supérieur de la nation, un héros engendré par des circonstances exceptionnelles, que notre époque a peu de chance de reproduire. Je ne crois pas qu’il faille attendre un hypothétique sauveur. Les Français doivent comprendre qu’il faut à nouveau se battre pour assurer notre survie dans un monde qui a radicalement changé. C’est le réveil des Français, le peuple providentiel, qui fera émerger celle ou celui qui aura la dimension nécessaire pour relever les gigantesques défis qui nous font face.
Retrouvez l'entretien croisé avec Éric Verhaeghe ancien président de l'APEC, Guillaume Bernard est docteur en droit, maître de conférence à Sciences Po Paris et à l'Institut Catholique d'Etudes Supérieures, Philippe Braud politologue français, spécialiste de sociologie politique. Il est professeur des Universités à l'Institut d'Études Politiques de Paris et enseignant-chercheur associé au CEVIPOF, et Gaspard Koenig qui dirige le think-tank GénérationLibre sur Atlantico.fr