Le Big data peut-il contribuer à améliorer le débat public?

La révolution de l’information c’est son accroissement considérable et l’amélioration permanente des moyens pour
la traiter et l’analyser.

 

Internet, abolissant les frontières, permettait à l’origine d’échanger plus rapidement et à moindre coût
des informations existantes. Le web, qui semble sans limite, a peu à peu transformé cet échange en production  massive d’informations nouvelles par ses utilisateurs laissant au passage
d’innombrables traces d’eux-mêmes.
Tous les jours, ce sont par exemple 2,45 milliards de contenus différents qui sont postés sur Facebook. A l’aube de l’an 2020, il y aura
10 400 milliards de gigaoctets de données déversées tous les mois sur Internet. Ces précieuses données sont exploitables si celui qui s’y intéresse est d’abord en capacité de les stocker puis de
les traiter :
c’est ce qu’on appelle le « big data ». 

 

Les applications du « big data » sont en théorie sans limites et dans tous les domaines, à
commencer par le marketing et la stratégie commerciale des entreprises qui les premières ont commencé à exploiter ces mines d’or. Un grand nombre de ces données permettent de savoir assez
précisément ce que nous aimons ou pas, ce que nous consommons régulièrement, ce dont nous avons envie ou besoin. Les technologies les plus innovantes de traitement
permettent depuis quelques temps déjà de cibler un individu ou un groupe d’individus afin de lui délivrer le bon message, de lui offrir le service souhaité, de lui proposer le produit
recherché.

 

Les consommateurs partagent beaucoup d’informations qui permettent aux publicitaires de très vite emporter
son adhésion mais ces informations permettent aussi de comprendre ce que nous pensons. Les citoyens donnent aussi beaucoup d’informations sur leurs préférences… politiques. Ces technologies
s’adressent désormais aussi à l’électeur en fonction des ses affinités
dans l’espoir au moment des élections de remporter son vote. 

 

Il est utile de rappeler à ce stade que la collecte et le traitement de données dites personnelles sont
strictement encadrés. En France, à la différence des Etats-Unis, la loi protège les données personnelles et impose leur anonymisation. Le croisement des données collectées sur les internautes ne
se fait pas par individu mais par catégories d’utilisateurs.

 

L’apparition de « l’open data » a en contre partie rendu accessible aux citoyens, journalistes,
chercheurs, etc, de très larges quantités d’informations nouvelles et très précises sur le fonctionnement du gouvernement, des services public, et des institutions publiques en général. Ces
données doivent nous permettre de mieux vérifier l’exactitude des informations qui constituent les différents argumentaires politiques.

 

Les dernières élections ont souvent donné lieu à une radicalisation des positions pour emporter le suffrage des
électeurs en proie aux angoisses de la crise et du chômage. Les candidats ont souvent joué avec les émotions de leurs électeurs, ils ont radicalisé leur discours, ils ont surenchéri sur les
sujets les plus clivants, donc potentiellement mobilisateurs. Si Barack Obama a gagné l’élection américaine c’est en grande partie parce que les Républicains se sont tournés vers la frange la
plus extrême de leur électorat. De ce point de vue on ne peut pas dire que « l’open data » ou le « big data » ont permis d’améliorer la qualité du débat public ou le programme
des candidats. 

 

L’aspiration des citoyens à un débat argumenté de chiffres objectifs était pourtant réelle et largement
palpable sur internet et les réseaux sociaux. Le « fact-checking » est rapidement devenu un sport national le temps des élections et les media ont parfaitement su saisir cette attente
et y répondre.
Libération a lancé son « bobaromètre», Owni et i-Télé ont crée le « véritomètre » et François Langlet, le statisticien de la politique, le
« data journaliste », est devenu la star des présidentielles.

 

Si ces nouveaux usages ne semblent pas avoir modifié la forme et le fond des interventions et des thématiques des
candidats, il a en revanche profondément changé les méthodes traditionnelles de campagne. Les outils ont changé de nature. Les équipes de campagne des dernières grandes élections nationales, en
Grande-Bretagne, en France, au Etats-Unis, ont utilisé ces nouvelles techniques de ciblage des électeurs pour tenter de les rallier à leur candidat. Des outils puissants d’analyse et de
traitement de données permettent effectivement de toucher directement des individus ou des catégories d’individus sur les sujets qui les concerne très directement avec les bons arguments. Ils ont
également largement utilisé les chiffres et toutes les informations rendues publiques par « l’open data » pour défendre ou dénoncer le bilan des sortants.

 

En France, la qualité des différents outils de campagne et des interactions entre les militants et les électeurs
a probablement  profité de ces méthodes.

Les équipes de campagne américaines achètent des bases de données commerciales qui leur permettre un ciblage très
précis par individu. Il y a donc un risque réel d’une segmentation a l’infini de l’offre politique et de l’accentuation du clientélisme électorale. La loi hexagonale ne permet pas l’achat de
bases de données commerciales qui offrent cette capacité très forte de ciblage par individu. Les équipes de campagne ont alors élaboré des argumentaires géographiques, le plus souvent suivant le
découpage des circonscriptions, de plus en plus précis à partir des données publiques. Les argumentaires sous forme d’infographie ou de « data-visualisations » de la dernière campagne
se sont donc considérablement enrichis en comparaison des précédentes.

 

Les femmes et les hommes politiques doivent être animés par des convictions profondes, mues par la vision
d’une société meilleure. Ils ne doivent pas perdre cette part irrationnelle d’audace, de passion brulante qui crée l’espérance de convaincre le plus grand nombre de partager une part de vérité
pour changer le monde. Il n’est donc pas souhaitable que les programmes politiques se décident entre statisticiens ou « community manager », mais la rencontre des citoyens réclamant une
part d’arguments illustrés de « chiffres objectifs » avec les responsables politiques en quête de moyens nouveaux de défendre leur bilan peut permettre d’espérer voir internet et ses
nouveaux usages contribuer à améliorer le débat public lors des prochaines échéances.

 

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