Etalab a mis l'open data au coeur du débat public

Entretien avec Eric Mettout, directeur de l’Express.fr, le 31 octobre 2012 publié sur
l’Expansion.lexpress.fr .

 

 

« Il avait été installé en 2010 par François Fillon pour mettre à disposition des citoyens les informations publiques: le directeur d’Etalab, et créateur du site data.gouv.fr, Séverin Naudet, a été remercié aujourd’hui par le nouveau gouvernement. Il tire le bilan de son action. Et émet quelques souhaits pour l’avenir.

Vous venez d’être officiellement relevé de vos fonctions auprès du Premier ministre. Que va devenir Etalab, la mission dont vous étiez le patron?

La mission va être rattachée au Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique. Mais je ne sais pas ce que le gouvernement va faire en matière de publication des données
publiques, absolument nécessaire à un moment où les Français n’ont plus confiance dans leurs institutions. J’avais fait réaliser une étude au printemps dernier, selon laquelle 77% des Français
estiment que l’Etat et les administrations ne sont pas assez transparents et 51% ne font plus confiance aux élus… Il est grand temps de vraiment rendre des comptes au citoyen, de faire la
transparence totale sur la gestion et le comportement de nos dirigeants, et la nature exacte de leurs décisions. Au Parlement, notamment, personne n’a entamé cette démarche: les Français
attendent de nos élus qu’ils fassent toute la lumière sur leur fonctionnement.

"Etalab a mis l'open data au coeur du débat public"

Séverin Naudet, l’ex-patron d’Etalab, la mission « open data » du gouvernement.

 

Pourquoi le Parlement précédent n’a-t-il pas commencé ce travail?

Pourquoi il n’a jamais été commencé par aucun parlement, surtout! Les parlementaires n’ont pas saisi l’urgence et la gravité de la situation et pas compris les attentes des Français, qui sont
pourtant répétées élection après élection, sondage après sondage. Régulièrement, ils enterrent toutes les réformes qui permettraient de moderniser le fonctionnement du Parlement, comme des
collectivités territoriales.

 

Sont-ils les seuls à appuyer sur le frein?

Il y a trois niveaux de résistance:

– L’Etat, centralisateur, jacobin, adepte du secret, de l’hermétisme, des silos verticaux et étanches. Il y existe de nombreuses bonnes volontés, mais la détention de l’information est un
privilège sur laquelle beaucoup fondent leur pouvoir – qu’il n’est pas naturel pour eux de partager.

– Le Parlement, les représentants du peuple français, qui ont une obligation d’exemplarité. Ils auraient dû être les premiers à entamer cette démarche – or, ils ne le font pas. Le fonctionnement totalement opaque de la, voire des réserves parlementaires en est un
exemple patent.

– Les collectivités territoriales, qui elles aussi, font de la rétention d’information.

Il y a une culture des « experts », en France, une tradition élitiste qui veut que seule une petite poignée de gens serait capable de comprendre un certain nombre de choses, que si on laisse
l’accès libre, alors ce sera l’anarchie. Finalement, c’est une atteinte au suffrage universel.

 

Pensez-vous avoir ébranlé ces forteresses avec Etalab?

Déjà, nous avons fortement contribué à installer le sujet au coeur du débat public. Les associations, locales en particulier, avaient déclenché le mouvement, mais il ne serait jamais remonté au
niveau de l’Etat s’il n’y avait eu une décision politique forte – celle du Premier ministre, François Fillon. Nous avons créé une dynamique de fond dans les administrations d’Etat, des mécanismes
durables, amélioré la qualité de la production de l’information, et sa publication. Nous avons également sorti la France de l’ornière où elle était embourbée, à l’échelle européenne et
internationale. La France est aujourd’hui considérée comme l’un des pays qui s’est engagé vers un gouvernement ouvert. A cet égard, il reste deux choses à faire: rejoindre l’Open Government partnership (OGP) et initier une démarche similaire au niveau européen. La France doit être leader sur le sujet.

 

Précisément, le sort réservé à Etalab n’est-il pas un signal négatif?

On verra, il faut des actes forts, au-delà des déclarations. Ce qui est important, c’est la volonté politique et les décisions qui en découlent. On pourra en juger par la décision, ou non, de
fixer par la loi le principe d’obligation de publication systématique des informations publiques par tous les services publics de l’Etat et des collectivités et par le parlement. Quand on aura
inscrit ce principe dans la loi, on aura un signal fort, qui ira au-delà de ce qu’Etalab a pu faire jusqu’à maintenant.

 

Ca n’a pas été fait par le gouvernement précédent…

… mais c’était un engagement de campagne de Nicolas Sarkozy.

 

La perspective vous paraît-elle s’éloigner?

Je ne sais pas. Du tout. Je n’ai eu aucune discussion sur le fond avec ceux qui exercent désormais la responsabilité. On peut faire de nombreux reproches à Etalab – de ne pas être allé assez
vite, assez loin… – mais on ne peut pas me reprocher d’avoir mené ce chantier de manière partisane.

 

S’est posée récemment la question de la gratuité, ou
pas, des informations publiques
mises à la disposition du public sur Internet. Pour vous, elle n’a pas lieu d’être…

François Fillon avait décidé de la gratuité par défaut: c’est un principe fondamental. Et le seul modèle viable. Ceux qui militent pour faire payer les données publiques, en prenant prétexte de
problèmes budgétaires, n’ont rien compris à l’essence même de l’Open Data. C’est vouloir générer quelques millions d’euros de recettes – par les commandes d’autres administrations, le plus
souvent! – quand les réformes structurelles imposées dans les administrations par l’obligation de communication des données publiques, par les services rendus, feront faire de vraies économies à
l’administration et à l’Etat. Pas un pays au monde ne fait payer les données publiques. Pas un! Et selon un sondage récent, quelque 70% des Français souhaitent que l’information publique reste
gratuite.

C’est un combat d’arrière-garde, mené par les tenants d’un vieux modèle d’administration, qui usent de ce motif pour refuser le changement. C’est aussi une marque de mépris de ceux qui, dans
l’administration, opposent « l’économie réelle » à la nouvelle économie – qui est pourtant actuellement la plus porteuse d’avenir et d’emplois, vous savez, ces entreprises qui sont parmi les
première capitalisations boursières mondiales… Ses partisans considèrent qu’il faut réserver l’accès aux données publiques à des géants économiques. En fait, ce n’est rien d’autre qu’une
manière de préserver un système de monopole de l’Etat qui favorise la rente. »

 

lien vers l’entretien en ligne sur lexpansion.fr


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